L’homosexualité de Gabriel Attal, nommé Premier ministre le 9 janvier, n’a pas fait de vague en France. Face à cette grande première, seule la complosphère est en surchauffe. Est-ce le signe d’une évolution rapide de la société française, qui avait enfanté la Manif pour tous («un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants»), mouvement ultraconservateur opposé au mariage pour tous? Ou est-ce parce que Gabriel Attal n’est pas un militant de la cause arc-en-ciel? Qu’en aurait-il été s’il avait été plus revendicateur, voire plus efféminé?

Blick a posé toutes ces questions à Nicolas Walder, vice-président des Vert-e-s suisses et gay. Conseiller national et membre de la commission de politique extérieure, le Genevois a également effectué des missions en Arabie saoudite, en Somalie, en Israël et Palestine et en ex-Yougoslavie pour le compte de la Croix-Rouge (CICR). Cette interview était donc aussi l’occasion de lui demander son avis sur Stéphane Séjourné, l’ex de Gabriel Attal, nouveau ministre français des Affaires étrangères. Un gay à la tête de la diplomatie de la cinquième puissance mondiale, problème ou opportunité?

Nicolas Walder, vous êtes politicien et ouvertement homosexuel, comme Gabriel Attal. À 34 ans, ce Français vient d’être nommé Premier ministre, sans que son orientation sexuelle fasse vraiment débat, sans déclencher une vague de haine. Un commentaire?
C’est une bonne nouvelle: Gabriel Attal vit son homosexualité au grand jour et son orientation sexuelle n’a pas été un enjeu dans sa nomination au poste de chef du gouvernement. C’est symboliquement fort que cela ne fasse pas débat dans un pays où le mariage pour tous avait donné lieu à une levée de boucliers. C’est la preuve d’une évolution rapide de la société française.

Pensez-vous que si Gabriel Attal avait été un activiste des droits LGBTQIA+ (lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe ou agenre), plus revendicateur, voire plus efféminé, les réactions auraient été tout aussi pacifiées?
Bonne question. À Taïwan, Audrey Tang, la ministre des Affaires numériques, est une personne transgenre et non-binaire (ndlr: qui ne se reconnaît dans aucun genre, ni masculin ni féminin). Et elle est très populaire, alors qu’elle affiche son identité et ses convictions pour une société plus inclusive. Mais elle fait partie d’un gouvernement progressiste, ce qui n’est pas le cas de Gabriel Attal. Évidemment, dans l’idéal, j’aurais préféré un Premier ministre gay et militant, histoire de secouer les normes sociétales et faire bouger les lignes vers une société plus inclusive.

Faut-il encore aujourd’hui adopter les codes de la masculinité et de l’hétérosexualité pour accéder à un poste si important alors qu’on est gay? Il y a peut-être une parallèle à faire avec les femmes politiques.
C’est sûr, il y a des codes et il est plus difficile de gravir les échelons si on exprime ouvertement sa diversité ou son militantisme. En Suisse aussi, on attend des personnes LGBTQIA+ et des femmes qu’elles utilisent les codes de la masculinité. C’est probablement une des raisons de la popularité de Karin Keller-Sutter (ndlr: conseillère fédérale libérale-radicale) qui les applique à la perfection. Au contraire d’Elisabeth Baume-Schneider (ndlr: conseillère fédérale socialiste) qui est une féministe engagée et qui n’hésite pas à construire son image sur son identité de femme.

Quelles sont les caractéristiques masculines que vous prêtez à Karin Keller-Sutter?
Je pense à son attitude un peu froide, presque militaire additionnée à un code vestimentaire très sobre, classique — un peu à l’image de la dame de fer! — rappelant le code vestimentaire masculin. Parallèlement, dans sa politique, elle ne montre pas un engagement particulier pour l’égalité ou le soutien aux femmes, comme on a pu le constater avec les femmes afghanes.

Dans le gouvernement Attal, on compte six ministres sur 14 qui ont combattu le mariage pour tous… Tant pis pour l’avancée des droits arc-en-ciel?
Derrière la composition de ce gouvernement de droite, il y a Emmanuel Macron. Mais pas le Macron qui prétendait incarner une France moderne et ouverte et qui souhaitait faire avancer les droits des minorités. Celle-ci a fait long feu. Avec ce gouvernement, il fait de la politique intérieure, prépare les prochaines élections présidentielles.

Comment?
Il veut diviser la gauche et se débarrasser de la droite pour qu’il n’y ait face à son parti que l’extrême droite. C’est sa stratégie habituelle: il donne quelques gages sur son progressisme en nommant Attal, puis flirte avec l’extrême droite en choisissant six ministres au passé homophobe.

L’ex de Gabriel Attal, Stéphane Séjourné, a été nommé ministre des Affaires étrangères. Cette situation est-elle acceptable à vos yeux?
Je n’y vois pas de problème particulier. Il y a eu d’autres cas similaires par le passé. Par exemple, Ségolène Royal qui avait occupé un poste de ministre alors que son ex était président de la République (ndlr: le socialiste François Hollande).

En tant que nouveau chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, proche conseiller d’Emmanuel Macron et ouvertement homo, devra se frotter à des homologues pas vraiment gay-friendly. Un problème?
Ça peut effectivement compliquer les relations avec certains pays obscurantistes. Au même titre que ça peut être le cas avec des ministres femmes. Mais ça participe aussi à donner à l’étranger l’image d’un pays moderne et progressiste et peut faire avancer la cause des personnes LGBTQIA+ dans le monde. Car ses déplacements pourront être l’occasion de théoriser la question de leurs droits. En revanche, s’il invisibilise son homosexualité, sa nomination n’aura pas beaucoup d’effets sur les autres pays.

>> L’interview sur le site du Blick (16.01.2024)