Vous déposez de nombreuses questions au Conseil fédéral concernant son positionnement sur la place internationale. La Suisse a-t-elle perdu le nord?
Nicolas Walder: Ce n’est pas que la Suisse, mais le monde qui perd sa boussole. L’arrivée de Donald Trump, qui a décidé d’imposer tout ce qu’il veut par la force, et son chantage – à l’instar de celui de Vladimir Poutine – ont pour conséquence une recomposition rapide de l’ordre international basé sur le multilatéralisme. Tout est remis en question et cela a un impact sur le respect des droits fondamentaux, sur les relations économiques et politiques et sur la réponse commune au défi climatique, qui reste une immense épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Quelles sont les conséquences pour la Suisse de cette recomposition internationale?
Il est crucial de condamner la guerre d’agression de la Russie, parce qu’elle viole les frontières d’un Etat souverain. La Suisse aussi est un Etat avec des frontières qui dépendent de leur reconnaissance internationale. Si la loi du plus fort l’emporte, comme lorsque Trump annonce que le Groenland et le canal du Panama seront annexés par les Etats-Unis, cela peut ouvrir la porte à toutes les convoitises, y compris de nos voisins. Lorsque qu’il impose unilatéralement des droits de douane au Canada et au Mexique, il bafoue des accords qu’il avait lui-même signés en 2020. Les méthodes de voyou de Trump représentent un risque pour notre pays, qui doit pouvoir s’appuyer sur des règles partagées et respectées. Son économie dépend de la coopération avec le monde.

Quel positionnement de la Confédération attendez-vous?
Le Conseil fédéral doit réaffirmer plus fortement son soutien au droit international. Sur l’Ukraine, elle l’a fait, bien qu’un peu mollement. Elle doit également affirmer que la Palestine n’est pas un territoire israélien, que ça ne peut pas être Netanyahou seul qui décide, encore moins Trump. La Suisse doit condamner le nettoyage ethnique proposé par Trump avec sa « Riviera » et soutenir les propositions de paix des pays arabes (plan approuvé au Caire de 53 milliards de dollars pour la reconstruction de Gaza, ndlr). Pour être plus résiliente, la Confédération doit aussi renforcer sa collaboration avec le Royaume-Uni et l’Union européenne, via les accords bilatéraux, et réfléchir à sa sécurité. Les Etats-Unis ayant décidé que l’Union européenne n’est plus leur priorité, on ne peut plus compter ni sur leur protection ni même sur leur coopération en matière de renseignement pour freiner les ingérences russes. Il faut donc aussi réduire notre approvisionnement militaire auprès des Etats-Unis, d’autant plus qu’ils soutiennent aujourd’hui ouvertement les partis européens d’extrême droite les plus fascisants. Et cela commence par remettre en question le choix de l’achat du F35. En raison des surcoûts et des retards mais aussi parce que leur bon fonctionnement dépendra toujours du bon vouloir américain.

Vous interpellez le Conseil fédéral sur la non-participation de la Suisse au sommet sur la sécurité européenne et l’Ukraine. Est-ce vraiment son rôle?
Nous ne savons même pas si la Suisse a été invitée ou non et c’est une de mes questions au Conseil fédéral car la défense de l’Europe nous concerne aussi. Tout ce que la Confédération peut apporter à l’Europe, en particulier à travers sa diplomatie, elle doit le faire. Ces sommets ont réuni des Etats membres mais aussi le Royaume-Uni, le Canada et la Norvège. Tous sont préoccupés par la sécurité de l’Europe alors que le parapluie américain se referme.

Au sujet de la Palestine, vous lui demandez s’il soutient encore une solution à deux Etats. Cette solution est-elle aujourd’hui réaliste?
Soyons clairs, Israël n’acceptera jamais une solution à un seul Etat où tous les citoyens auraient les mêmes droits et où potentiellement les Palestiniens pourraient devenir majoritaires. Une solution à deux Etats me semble la seule viable. Ni l’existence d’Israël – dans ses frontières de 1967- ni celle de la Palestine ne peuvent être remises en question. Les territoires occupés appartiennent à la Palestine. Quant à Jérusalem, on peut imaginer une solution qui permette la cohabitation. Mais pour que la diplomatie puisse jouer son rôle, il faut un rapport de force un minimum équilibré. Plus il y aura de soutien international pour un Etat palestinien, plus il y aura de pression sur Israël pour négocier. Il est dès lors essentiel que la Suisse reconnaisse rapidement la Palestine. Car certains ministres du gouvernement israélien ne se cachent même plus de vouloir annexer les territoires palestiniens en les vidant de leurs habitants. La Suisse doit faire entendre la voix du droit international, comme elle l’a fait pour l’Ukraine. Elle aurait dû condamner les propos de Trump lorsqu’il a proposé de construire une « Riviera » dans Gaza vidée de ses habitants et rappeler que forcer des personnes à quitter leur territoire, c’est du nettoyage ethnique.

La Confédération vient d’annoncer l’annulation de la Conférence internationale sur l’application des Conventions de Genève au Proche-Orient. Quelle est votre réaction?
Je viens de l’apprendre et je le regrette. J’espère que ce n’est qu’un report. Dans tous les cas, il s’agira de comprendre quelles sont les causes d’un tel échec. La Suisse s’est-elle suffisamment engagée pour réunir une majorité de pays? A-t-elle plié devant les pressions israéliennes et surtout américaines? Ou est-ce que ce sont les participants qui ont préféré s’abstenir sous pression des Etats-Unis? Au final, c’est une autre mauvaise nouvelle pour l’ordre international et le multilatéralisme.

>> Interview publiée dans Le Courrier (06.03.25, payant)