>> Lire l’article consacré au débat par Le Courrier (11.09.2025, payant)

>> Le texte de l’intervention de Nicolas Walder:

Lorsqu’on parle de génocide à Gaza, ce n’est pas une figure de style. Les conditions semblent malheureusement réunies aujourd’hui: meurtres en masse, famine organisée, déplacements forcés, attaques ciblées contre des hôpitaux, des écoles, des journalistes. Le gouvernement israélien ne cache même plus son intention d’annexer les territoires palestiniens et d’en chasser sa population. Il n’offre aux Palestiniens que deux solutions: l’exil ou la mort. Ce n’est pas une tragédie, ce sont des crimes, avec des coupables et des complices.

Bombardements incessants et déplacements forcés

Cette situation dramatique découle bien sûr de l’occupation israélienne qui dure depuis 1967 et aussi des actes de terreur sanglants commis par le Hamas, en particulier le 7 octobre 2023. Toutefois, elle est aujourd’hui nourrie par le seul acharnement meurtrier du gouvernement de Benjamin Netanyahou contre 2,2 millions de personnes enfermées dans une enclave, rappelons-le, de 365 kilomètres carrés. Privée d’eau potable, de nourriture, de soins médicaux, la population est soumise à des bombardements incessants et à des déplacements forcés. Il y a des centaines de milliers de blessés et plus de 60 000 morts, dont une écrasante majorité de civils.

Ces crimes ne sont pas des allégations. Ils sont documentés, avec rigueur, par les plus hautes instances internationales. La Cour pénale internationale, à laquelle la Suisse est partie, a émis des mandats d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et du gouvernement israélien, y compris Netanyahou. L’ONU, l’OMS, le CICR, et d’innombrables ONG – y compris israéliennes – dénoncent des violations massives et systématiques du droit international humanitaire. Face à cette situation, plusieurs pays suspendent leur coopération militaire et réduisent leurs relations économiques avec Israël. Certains imposent des sanctions ciblées. Même l’Union européenne, longtemps timorée, a annoncé hier vouloir adopter des sanctions contre des ministres israéliens et suspendre partiellement l’accord d’association avec Israël. C’est un pas important, même si insuffisant. Les Verts européens demandent depuis des mois la suspension totale de l’accord.

La majorité des États qui, comme la Suisse, disent soutenir une solution à deux États, reconnaissent ou s’apprêtent à reconnaître l’État de Palestine, car il est essentiel, pour être crédibles, de reconnaitre les deux États, Israël et la Palestine, et ainsi de maintenir la pression pour négocier une paix durable et juste avec, à la clé, deux États souverains.

Espoir de cessez-le-feu anéanti

Dès lors, la Suisse, que fait-elle face à un gouvernement israélien qui n’a pas hésité cette semaine encore à violer la souveraineté du Qatar pour réduire à néant tout espoir de cessez-le-feu? La Suisse se tait, ou presque. Le Conseil fédéral, soutenu par une majorité bourgeoise, se refuse à condamner les actions du gouvernement israélien et suspend les financements de l’UNRWA à Gaza et en Cisjordanie sous prétexte que les rapports des agences onusiennes seraient biaisés. Ce sont des affirmations non seulement moralement indéfendables, mais aussi factuellement fausses.

Cependant, il y a plus grave encore et c’est l’objet de cette motion: la Suisse poursuit, en toute conscience, une coopération militaire opaque, mais substantielle avec Israël. Parmi les entreprises partenaires, citons Elbit Systems, acteur central du complexe militaro-industriel israélien dont les armes sont directement utilisées dans les opérations militaires à Gaza. Depuis 2015, notre pays a engagé plus de 600 millions de francs dans des contrats avec Elbit, notamment pour l’achat des drones Hermes 900, déjà utilisés lors des bombardements de 2014, ainsi que 300 millions dans un contrat de modernisation de nos communications militaires. Aujourd’hui, cette entreprise dispose même d’une filiale à Uetendorf, dans le canton de Berne.

Image de la Suisse durablement ternie

Cette coopération, que le Conseil fédéral a récemment encore confirmée, malgré les retards et défaillances et sans un mot pour Gaza, est bien un choix politique qui nous rend encore plus complices des actions de l’armée israélienne; tout comme la décision d’exporter vers Israël, entre 2015 et 2024, pour des millions de francs de matériel militaire et de biens à double usage. Ces coopérations militaires contredisent nos engagements en matière de droit international humanitaire, elles ternissent profondément et durablement l’image d’une Suisse garante des Conventions de Genève, elles participent à l’effritement mondial du droit international humanitaire et elles portent aussi atteinte à notre neutralité, car on ne peut pas condamner sévèrement les crimes du Hamas tout en collaborant militairement avec un gouvernement dont les dirigeants sont poursuivis pour crimes de guerre et suspectés de génocide. Une telle position est intenable.

C’est pourquoi nous demandons aujourd’hui d’exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent ainsi que la libération immédiate de tous les otages et de tous les prisonniers palestiniens détenus arbitrairement, tout en renforçant le soutien aux agences onusiennes comme l’UNRWA. Nous demandons aussi de reconnaître immédiatement l’État de Palestine. Nous demandons aussi de suspendre toute coopération militaire avec les États impliqués dans le conflit en cours à Gaza – c’est l’objet de cette motion. Enfin, nous demandons de reprendre les sanctions européennes, et même de prendre des sanctions autonomes, comme le vise la motion que je viens de présenter. Cette motion ne relève pas d’une position partisane, mais d’un impératif moral et juridique visant à éviter toute complicité et à renforcer notre neutralité.

Au nom des dizaines de milliers de victimes à Gaza, je vous invite à soutenir cette motion.