«Un front républicain contre l’extrême droite est indispensable!»
A quelques jours du deuxième tour de l’élection au Conseil d’Etat, le Vert Nicolas Walder et l’UDC Lionel Dugerdil débattent de leurs visions pour le canton. Interview croisée réalisée par Le Courrier.
Qui sera le septième conseiller d’Etat genevois? A quelques jours du deuxième tour à l’élection partielle au gouvernement, la tension monte, car rien n’est joué. Arrivé en tête au premier tour, le candidat écologiste Nicolas Walder, conseiller national et ancien magistrat carougeois, n’a pas assez d’avance pour être assuré d’une victoire le 19 octobre. Face à lui, le député UDC Lionel Dugerdil, représentera la droite, avec le soutien explicite du PLR. Les autres partis bourgeois n’ont pas donné de consignes de vote. S’il venait à être élu, ce serait une première pour le parti agrarien à Genève. Pour les Vert·es, au Conseil d’Etat depuis vingt-sept ans, ce serait un camouflet. Face-à-face.
Nicolas Walder, pour quelles raisons faudrait-il réélire un Vert au Conseil d’Etat?
NW: L’écologie est un des défis majeurs de notre société. Il est donc nécessaire d’élire une personne qui poussera une politique ambitieuse et proactive pour mettre en place la transition climatique.
Lionel Dugerdil, qu’est-ce qu’apporterait l’élection d’un UDC, parti jusqu’à présent absent du gouvernement ?
LD: L’UDC entend répondre aux problèmes de sécurité, car elle représente la première de nos libertés. Aujourd’hui, il n’y a pas d’entrepreneur au Conseil d’Etat. Je serais cette voix pragmatique et de terrain.
Nicolas Walder est écologiste, une étiquette que vous revendiquez également Lionel Dugerdil.
LD: L’écologie n’appartient pas aux Verts. Je ne me dis pas écologiste, mais proche de la nature. Je ne suis pas un écolo de bureau, mais de terrain, comme agriculteur dans une exploitation bio. L’écologie est transversale, elle doit concerner toutes les politiques publiques.
NW: M. Dugerdil confond l’élection du meilleur citoyen avec celle de conseiller d’Etat. L’UDC est le parti le plus climatosceptique de Suisse. Nous devons redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’élire la personne qui portera le mieux les réformes vers la transition dans divers domaines. Des réformes qui ne seront pas populaires.
LD: Les Verts entendent gouverner par interdiction, moi par l’exemplarité.
NW: Je n’ai jamais parlé d’interdiction.
Nicolas Walder, quels défis attendent le Département du territoire libéré par Antonio Hodgers?
NW: En quinze ans, nous avons construit 30’000 logements pour 90’000 emplois créés. Nous nous devons de loger nos concitoyens et de leur offrir des équipements publics, comme des écoles. Nous devons également augmenter la part de logements accessibles. Pour cela, il faudra travailler main dans la main avec les 45 communes.
Lionel Dugerdil, comment répondre à ces défis?
LD: Je partage le constat de M. Walder, il y a un problème de logement. La réponse demandera beaucoup de concertation avec les Départements de l’économie et des finances afin de développer une vision à long terme pour notre canton exigu mais en croissance.
Mais où construire?
NW: Le secteur Praille-Acacias-Vernets accueillera de nombreux logements. Il y a également des poches à densifier. Nous ne pouvons pas entasser les habitants en zone urbaine, il faudra construire en zone villa. Selon la croissance, 10% de la zone villa actuelle pourrait suffire à répondre aux besoins.
LD: Il faut construire là où le bâti est déjà dense. Mon ambition est de construire 6500 logements par année pour répondre à la croissance. Aujourd’hui, les tours sont un mal nécessaire.
La crise du logement amène à la question de la croissance. Lionel Dugerdil, quelle croissance voulez-vous?
LD: Je suis pour une croissance maîtrisée. Nous devons choisir quelles entreprises nous voulons sur notre territoire et construire pour elles. Nous pouvons notamment jouer sur les conditions d’octroi des permis de séjour.
NW: C’est totalement faux, il s’agit là de règlementations fédérales.
Nicolas Walder, quelle croissance pour Genève ?
NW: Je ne suis ni croissant ni décroissant, je n’ai pas de dogme en la matière. Je rejoins Lionel Dugerdil dans l’idée d’une croissance maîtrisée. Pour cela, nous avons l’outil de l’attractivité économique. Si nous voulons ralentir, il faut augmenter la fiscalité sur certaines multinationales, modifier les conditions cadre.
La sécurité a surgi dans la campagne, notamment parce que l’UDC revendique ce dicastère. Que ferez-vous si vous êtes élu, Lionel Dugerdil ?
LD: Je remettrai le nom sécurité dans l’intitulé. Je mettrai plus d’agents sur le terrain et j’allègerai les lourdeurs administratives. Ces postes seraient trouvés par réaffectations d’autres départements.
Et vous Nicolas Walder?
Je créerai de nouveaux postes d’agents. Cela est également valable pour la santé ou l’éducation. Il faudra aussi renforcer les compétences de la police dans des domaines comme la cybersécurité, le harcèlement sexuel et l’intégrité sexuelle. Je souhaite également renforcer le sentiment de sécurité en axant davantage sur la police de proximité.
Comment défendre vos idées tout en étant minoritaire au Conseil d’Etat?
NW: Avec de bonnes idées et de bons arguments, on peut convaincre. Si on n’y arrive pas, alors il faut renoncer à nos projets. Je suis un homme de dialogue et de respect. Je sais trouver des majorités.
LD: L’UDC a montré qu’elle savait faire preuve de collégialité, je ferai de même. Je défendrai mes thématiques au sein du Conseil d’Etat, puis, quel que soit le résultat, je défendrai la position du gouvernement.
Divergences sur le Grand Genève
Comment envisagez-vous les liens entre notre canton et la France voisine? Le Grand Genève a-t-il encore un avenir?
LD: Pourquoi vouloir absolument travailler avec la France voisine? On ne peut pas travailler avec eux, c’est extrêmement difficile. Même Antonio Hodgers le reconnaît. Il faut arrêter de rêver, de vendre n’importe quoi aux Genevois. En plus, travailler avec la France voisine a deux effets négatifs. Vous créez une économie à deux vitesses: à Genève, où ne resteront que les plus riches et les bénéficiaires de l’aide sociale. Alors que la classe moyenne, elle, doit aller en France. C’est tout sauf responsable.
NW: Ce n’est pas un échec. Le Grand Genève n’est peut-être aujourd’hui pas ce que certains rêvaient qu’il soit. Il y a pourtant des pans entiers qui fonctionnent. La preuve en est l’interdépendance entre nos territoires. Lorsque l’on parle du Grand Genève, cela inclut aussi le canton de Vaud. Genève dépend de travailleurs et de travailleuses qui viennent de France, mais également ceux qui viennent de ce canton voisin. Nous sommes condamnés à travailler ensemble. Pas nécessairement à s’entendre, parce qu’on peut avoir des désaccords sur certains points, mais on doit travailler ensemble pour notre développement, pour la bonne marche de nos hôpitaux, de nos EMS. Nous avons tout intérêt à entretenir de bons rapports. Nous devons dialoguer. Ne serait-ce qu’en termes de mobilité. Je constate que M. Dugerdil n’envisage les relations avec nos voisins que sous l’angle des rapports de force. Et c’est dommage.
La gauche pour un front républicain
Nicolas Walder, est-ce que vous adhérez à l’appel à un front républicain lancé par la présidente de votre parti pour faire barrage à l’UDC?
NW: Oui absolument. J’ai toujours dit ouvertement, bien avant cette campagne pour le Conseil d’Etat, que je considère l’UDC comme un parti d’extrême droite. Un front républicain est donc indispensable face à des formations comme l’UDC, qui font des différences culturelles, religieuses, sexuelles et de genre, des différences fondamentales entre êtres humains. Je trouve d’ailleurs que le jeu que joue la droite dite républicaine, le PLR en l’occurrence, en s’alliant avec l’UDC est extrêmement dangereux.
Lionel Dugerdil, qu’est-ce que vous répondez à la gauche qui voit en votre parti un danger pour la démocratie?
LD: L’UDC est un parti conservateur, un parti de droite populaire. Cette étiquette d’extrême droite que l’on nous colle ne convainc plus personne. Comme tout le reste des arguments de M. Walder à notre propos d’ailleurs. Raison pour laquelle les Verts sont en perte de vitesse. Je constate qu’au lieu de proposer un programme cohérent, de mettre en avant leur candidat, les Verts préfèrent dévaloriser l’adversaire. Pour moi, les écologistes ont clairement perdu l’élection. Et ils sont en train de s’en rendre compte.
NW: Je vous invite à prendre connaissance des nombreuses attaques – répétées et récurrentes – que nous avons subies lors des différents débats de cette campagne. Non seulement de la part de M. Dugerdil, mais également de son groupe. Cela fait des années que l’extrême droite nous traite de Khmers verts, pour ne prendre que cet exemple. C’est profondément insultant.