«La Suisse neutre doit se garder de prendre parti dans le conflit israélo-palestinien»
Le Conseil national a adopté une motion demandant une réforme de l’aide aux réfugiés palestiniens sur la base de griefs supposés et non prouvés imputés à l’UNRWA.
>> Voir l’ensemble du débat au Conseil national (09/09/2024)
>> Lire ci-dessous le texte de l’intervention de Nicolas Walder:
Le problème soulevé par la motion qui vous est soumise est double: d’une part, cette motion s’appuie sur des allégations non étayées; d’autre part, elle présente un risque pour la crédibilité et la tradition d’impartialité de notre pays. Cette motion qui prétend vouloir réformer l’aide aux réfugiés palestiniens ne demande rien moins que de remplacer l’UNRWA, ce qui est, comme par hasard, le principal objectif d’Israël, l’une des parties en conflit. Cette demande s’inscrit contre l’avis de l’écrasante majorité des Etats membres de l’ONU, qui, depuis sa création en 1949, renouvelle régulièrement sa confiance à l’UNRWA, faute d’avoir trouvé une solution politique juste et durable au conflit et aux droits légitimes des réfugiés palestiniens.
Je l’ai dit en commission: nous soutenons pleinement l’idée que la Suisse s’engage pour une réforme de l’UNRWA, comme elle l’a fait également pour l’OMC ou pour le Conseil de sécurité. Il appartient toutefois à la communauté internationale de mener ces réformes et de s’assurer que les fonds versés aux agences onusiennes sont correctement utilisés.
A cet effet, notre pays a pris une décision conséquente en suspendant son financement au lendemain d’accusations graves portées par Israël sur une possible implication de l’UNRWA dans les attentats du 7 octobre. Face à de telles allégations, il était effectivement indispensable, dans le cadre multilatéral, de s’assurer de la bonne destination des fonds. La lumière a été doublement faite par le secrétaire général de l’ONU grâce à une enquête menée par le Bureau des services de contrôle interne et une autre, indépendante, par Catherine Colonna, ex-ministre française de l’Europe et des affaires étrangères. Ces rapports ont permis de rassurer la majorité des grands donateurs en réfutant les principaux griefs contre l’UNRWA – soit dit en passant, l’agence onusienne la plus contrôlée. Ces rapports sont clairs et corroborent les propos tenus devant notre commission par le commissaire général de l’UNRWA, le Suisse Philippe Lazzarini: aucun élément ne permet de relier l’UNRWA et ses activités à de quelconques activités terroristes, y compris d’ailleurs par son financement. Tout au plus y a-t-il encore des soupçons d’implication hors du cadre institutionnel de quelques employés sur les plus de 13 000 que compte l’organisation rien qu’à Gaza. Comme dans tout procès, il appartient à l’accusation d’apporter les preuves de ses allégations. Force est de constater qu’elle n’a pas été en mesure de le faire dans le cas qui nous occupe. Pourtant, les auteurs de la motion prétendent, sans la moindre base objective, que l’existence de l’UNRWA ouvrirait « la porte à la corruption et au détournement des moyens vers des organisations terroristes ». Un tel entêtement laisse songeur.
Nous considérons – c’est là notre deuxième objection – qu’il n’appartient pas à un pays neutre et impartial de servir les intérêts politiques de l’une des parties au conflit; en clair, d’être instrumentalisé pour colporter des accusations non étayées en contribuant ainsi à des objectifs stratégiques qui nous échappent. Car nous le savons bien: derrière les accusations visant l’UNRWA, Israël a l’objectif de se débarrasser de cette agence et, par là même, de l’exigence centrale de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies qui instaure un droit au retour des réfugiés palestiniens. Israël sait qu’elle n’obtiendra jamais la dissolution de l’UNRWA par un vote de l’Assemblée générale et cherche depuis longtemps à la décrédibiliser, afin de l’affaiblir financièrement.
C’est – permettez-moi l’expression – de bonne guerre, pour une partie au conflit, d’utiliser la désinformation pour atteindre ses objectifs. Nous pouvons l’observer dans tous les conflits d’ailleurs. Mais ce n’est en aucun cas le rôle de la Suisse de lui servir de cheval de Troie.
Il n’est pas question ici d’afficher nos affinités pour l’une ou l’autre des parties au conflit, tout comme il n’est pas question non plus de remettre en cause la condamnation justifiée des attaques barbares du 7 octobre 2023. Mais il est question de savoir si la Suisse doit prendre parti dans le conflit israélo-palestinien ou rester du côté du droit international et, en particulier, du côté du droit international humanitaire, que nous célébrons cette année avec les 75 ans des Conventions de Genève, dont notre pays – rappelons-le aujourd’hui – est dépositaire.
La Suisse doit-elle s’appuyer sur la propagande fumeuse d’une des parties au conflit en soutenant que c’est l’aide que fournit l’UNRWA qui empêcherait les Palestiniennes et Palestiniens de subvenir eux-mêmes à leurs besoins? Ou, au contraire, doit-elle rappeler que la situation dramatique des réfugiés palestiniens est avant tout liée à une situation régionalement instable faite de violence, d’occupation et de blocus, une situation qui ne pourra s’améliorer qu’avec un projet politique juste et durable pour la région et tous ses habitants?
Ce n’est qu’à cette condition également que les très nombreux pays qui ont encore récemment voté un prolongement du mandat de l’UNRWA jusqu’en 2026 y mettront fin avec la pleine coopération de l’agence, qui n’aura, dès lors, plus de raison d’exister.
En attendant, je vous demande, au nom de la minorité de notre commission, de soutenir la tradition d’impartialité et de neutralité de notre pays en rejetant cette motion.