Le texte de l’intervention:

Par son statut de neutralité, la Suisse ne finance pas l’effort de guerre en Ukraine. Quelles que soient les suites données aux propositions d’assouplissement de notre loi sur le matériel de guerre sur la question des réexportations d’armes, cela ne changera pas ce fait. Aussi, la majorité de notre commission considère que le fait d’être neutre et de ne pas fournir d’armes ne doit pas nous dispenser d’assumer notre part d’effort et de solidarité vis-à-vis de l’Ukraine qui, rappelons-le, est victime d’une agression de la Russie, aussi brutale que contraire au droit international. Cette majorité considère même que, en raison de notre non-engagement militaire, nous devrions nous investir davantage encore que d’autres dans la couverture des besoins humanitaires de protection de la population et de reconstruction des infrastructures et des habitations, ce d’autant plus que les besoins sont déjà énormes. Le coût pour la seule reconstruction était estimé à plus de 700 milliards de dollars, avant même la ravageuse destruction du barrage de Kakhovka.

Depuis plus de quinze mois, les nouvelles d’Ukraine sont, on le voit, toujours aussi effroyables et rien ne laisse présager une amélioration rapide. Le moment est donc venu de concrétiser l’incroyable élan de solidarité que la Suisse, que les Suisses n’ont cessé de témoigner depuis février 2022, en inscrivant, grâce à cette motion, notre soutien dans une certaine durée. Les Ukrainiennes et les Ukrainiens le méritent, eux qui se battent aujourd’hui certes pour leur souveraineté, mais aussi pour la démocratie et pour le respect du droit international sur notre continent.

Tout en faisant régulièrement part à l’ONU de sa grande préoccupation face à la situation en Ukraine, la Suisse se trouve, en comparaison internationale, en queue de classement en matière d’aide, soit derrière presque tous les pays européens, si l’on rapporte au PIB les montants agrégés de soutien civil et militaire.

Selon l’Institut Kiel, au 24 février 2023, soit exactement un an après le déclenchement de la guerre, la Suisse avait consacré 0,05 pour cent de son PIB à l’Ukraine, alors que l’Estonie était à 1,3 pour cent, la Grande-Bretagne à 0,4 pour cent et l’Autriche à 0,5 pour cent, soit un taux d’effort dix fois supérieur au nôtre. La Norvège, qui a déjà apporté plus de 1 milliard d’aide civile ou militaire, a voté depuis un soutien additionnel extraordinaire de 7,5 milliards sur cinq ans.

Le Conseil fédéral justifie ces chiffres très bas par l’effort particulier de la Suisse en faveur des réfugiés. Toutefois, selon le même Institut Kiel, même en tenant compte de l’aide aux quelque 80 000 réfugiés ukrainiens accueillis en Suisse, le taux d’effort de notre pays, avec 0,22 pour cent du PIB reste bien en deçà de celui des Etats européens cités, et d’autres, tels que le Portugal, les Pays-Bas ou encore la Pologne, qui y a déjà consacré 3,1 pour cent de son PIB.

L’autre argument souvent avancé se réfère à notre système fédéral, et justifie la faiblesse de notre contribution par les soutiens des cantons et de nos concitoyens. Il est vrai que les Suisses se sont montrés très généreux, mais nous ne sommes pas un cas isolé. L’aide à l’Ukraine a été massive depuis toute l’Europe, où les citoyens et les collectivités locales se sont partout engagés.

C’est pourquoi la majorité de notre commission, par 13 voix contre 11 et 1 abstention, vous propose de charger le Conseil fédéral de présenter au Parlement un programme de soutien à l’Ukraine d’un montant de 5 milliards de francs pour les cinq à dix prochaines années. Le cadre financier de ce projet devra être financé et adapté par le Conseil fédéral. Ce dernier gardera la main sur cette manne en fixant chaque année le montant de la contribution et son affectation en fonction de l’évolution du conflit et des besoins – aide humanitaire, promotion de la paix, opérations de déminage ou encore soutien à la reconstruction. C’est cet engagement pluriannuel circonstancié qui sera seul à même de donner à l’Ukraine une plus grande sécurité quant à la couverture de ses besoins.

Par ailleurs, la majorité de la commission a insisté pour que cet effort exceptionnel vienne bien s’ajouter au budget en matière de coopération internationale, car enlever au Sahel ou à la Somalie ce qu’on apporte à l’Ukraine serait non seulement très cynique, mais n’aurait aucun sens; cela ne pourrait ni répondre aux importants besoins mondiaux actuels ni restaurer la crédibilité de notre pays. Car si la Suisse veut honorer son statut de pays neutre, convaincue du rôle central qu’elle peut jouer sur la scène internationale, en particulier en matière de droit humanitaire, elle doit être prête à assumer sa part de l’effort gigantesque nécessaire au soutien de l’Ukraine, à l’instar de tous les autres pays européens qui creusent aujourd’hui leur déficit pour apporter ce soutien.

C’est du moins ce que pense la majorité de notre commission, qui demande que le Conseil fédéral présente très rapidement un plan ambitieux.

Une minorité de notre commission trouve au contraire que la Suisse en fait déjà assez ou même trop. D’autres au sein de cette minorité contestent le montant de 5 milliards de francs ou considèrent que des questions concernant la reconstruction de l’Ukraine doivent d’abord être clarifiées avant de définir une contribution de soutien.

Pour la majorité de notre commission, il faut aujourd’hui cesser d’ergoter et de jouer la montre. C’est le moment de prouver au monde que notre neutralité n’est pas qu’un moyen de nous défausser de nos responsabilités.

Je vous remercie de soutenir la proposition de plan d’aides massives à l’Ukraine de la majorité de la commission.