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Lors de sa séance du 19 juin 2023, notre Commission de politique extérieure s’est penchée sur la question de l’application des sanctions contre la Russie dans le secteur des matières premières. Elle a décidé, par 13 voix contre 5 et 0 abstention, de déposer le présent postulat demandant au Conseil fédéral un rapport sur la question.
Ce rapport devra préciser si et comment les sanctions sont actuellement respectées dans le secteur des matières premières, tout en identifiant d’éventuelles lacunes dans le dispositif pour une application efficace et irréprochable. Le cas échéant, le rapport devra expliquer quelles mesures supplémentaires pourraient être prises pour renforcer l’application des sanctions et leur contrôle. Enfin, ce rapport devra également préciser à partir de quels pays les matières premières russes sont aujourd’hui négociées.

La majorité de notre commission a considéré que le secteur des matières premières avait atteint une importance systémique pour la Suisse. Selon les chiffres les plus récents, ce secteur représente aujourd’hui entre 8 et 9 pour cent de notre PIB. Il est ainsi en passe de dépasser le secteur financier. La Suisse est ainsi en quelques années devenue un acteur majeur dans le commerce mondial des matières premières, une plaque tournante incontournable de ce négoce.
Cela implique à la fois un risque de réputation considérable pour notre pays et une responsabilité particulière en matière de contrôle.

De nombreuses personnes en Suisse n’ont d’ailleurs pas attendu la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie pour s’inquiéter du devoir de diligence des acteurs actifs dans le négoce de matières premières. Ce secteur soulève en effet bien des questions depuis longtemps, que ce soit au travers d’alertes d’ONG, d’enquêtes sur des pratiques douteuses à l’étranger ou encore dans des débats sous cette coupole, comme le montre le récent rappel du cas Gunvor, pour ne citer que lui.
Le Conseil fédéral lui-même a reconnu la nécessité de suivre au plus près ce dossier en reconnaissant à plusieurs reprises dans des rapports que – je cite – « la sécurité de l’approvisionnement en matières premières indispensables à la transition énergétique et la réduction de l’impact social et environnemental de leur extraction restent au coeur des débats. »

Et la question de la traçabilité des matières premières est devenue d’autant plus brûlante avec la reprise par la Suisse des sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie, car, avant la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, près de 60 pour cent du pétrole russe et 75 pour cent du charbon exporté par la Russie transitaient par la Suisse. Ainsi la présence d’acteurs actifs dans le négoce de matières premières et d’oligarques souvent proches du Kremlin fait que notre pays est particulièrement observé, pour ne pas dire surveillé, par nos partenaires occidentaux. Cela a même conduit ces pays à émettre de nombreuses et récurrentes critiques, pointant du doigt le manque de zèle de la Suisse dans l’application des sanctions.
Pour la majorité de notre commission, il est nécessaire, pour pouvoir répondre à ces accusations, d’examiner si et comment sont appliquées les sanctions dans ce secteur hautement opaque.
En effet, il est de notre responsabilité de nous assurer que les acteurs économiques de ce secteur stratégique appliquent intégralement les sanctions décrétées et, par leurs actions, n’affectent pas les efforts de nos partenaires de faire triompher le droit international en Ukraine.

S’il devait y avoir des failles dans le dispositif, ce serait l’occasion pour le Conseil fédéral de soumettre des propositions visant à renforcer le suivi de ce secteur, par exemple avec la mise en place d’une autorité de surveillance, à l’instar de la Finma pour les marchés financiers. En effet, il appartient à notre pays d’accompagner l’application des sanctions et des normes internationales dans ce secteur et, ainsi, de garantir le respect des exigences de transparence et de diligence.

C’est dans cet esprit qu’une large majorité de la commission, soutenue par le Conseil fédéral, a considéré qu’il était opportun de faire toute la lumière sur l’application des sanctions dans ce secteur et, si elle n’est pas adéquate, de proposer des mesures correctives. Une petite minorité de la commission, considérant que la reprise des sanctions par la Suisse était de toute façon une décision inadéquate, s’est quant à elle opposée à ce postulat.

En tant que secteur économique exposé sur le plan géopolitique, le marché des matières premières devrait répondre aux exigences les plus élevées en matière de transparence et d’éthique, particulièrement dans l’application des sanctions. C’est pourquoi je vous invite au nom d’une très large majorité de notre commission et au nom du Conseil fédéral lui-même à soutenir ce postulat.