>> Lire le texte de l’intervention:

Le 7 octobre 2023, les Verts ont immédiatement et fermement condamné l’attaque terroriste et barbare de la branche armée du Hamas contre les civils israéliens. Nous avons également appelé à l’adoption de sanctions fortes et étendues contre tous les auteurs de cette attaque, afin qu’aucune personne, entreprise ou institution en Suisse ne puisse se rendre complice de ces crimes. Cette position est d’ailleurs en parfaite cohérence avec notre demande réitérée d’intégrer dans la loi sur les embargos la possibilité de prendre des sanctions de façon autonome contre tous les Etats, entités ou individus coupables de violations graves du droit international et des droits humains. C’est aussi cohérent avec notre insistance pour que la Suisse reprenne les sanctions de l’Union européenne contre les Etats ou entités qui bafouent de façon grave et répétée les droits humains, par exemple à Téhéran, dans le Xinjiang ou en Cisjordanie, des demandes, faut-il le rappeler, jusqu’ici refusées par le Conseil fédéral et la majorité de droite de ce Parlement. C’est vous dire que, sur le fond, nous sommes pleinement satisfaits de voir notre pays mettre enfin des limites claires aux collaborations avec des criminels au sens du droit international.

Toutefois, chères et chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui soulève de nombreuses questions, car il va bien au-delà de l’adoption de sanctions. Il vise en effet pour la première fois de l’histoire à légiférer pour interdire en Suisse une organisation politique sans que l’interdiction ait été prononcée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Jusqu’ici, il appartenait aux tribunaux de juger si une organisation pouvait être qualifiée de terroriste. C’est d’autant plus particulier que, en dépit des arguments du Conseil fédéral, le Hamas n’a pas, jusqu’à aujourd’hui, menacé spécifiquement et directement la Suisse, et, au vu de son affaiblissement, il ne risque pas de le faire dans un avenir proche. Et si les craintes de la communauté israélite de Suisse pour sa sécurité sont légitimes, et nous en sommes conscients, nos autorités doivent y répondre avec fermeté. Car l’antisémitisme, cela a été dit et je le redis ici, n’a pas sa place en Suisse.

Mais le projet qui nous est présenté relève, pour nous, plus d’une question de politique extérieure. C’est pourquoi notre parti soutiendra, en cas de refus de la proposition de la minorité II (Fivaz Fabien), la proposition de la minorité I (Molina), qui demande que la CPE soit également consultée avant d’éventuellement étendre l’interdiction à d’autres organisations. Car au-delà du symbole, les enjeux diplomatiques inhérents à une telle interdiction sont nombreux.

Le premier des défis est celui de pouvoir justifier le caractère exceptionnel de cette loi, afin d’éviter que notre pays se retrouve sous pression pour étendre l’interdiction à d’autres organisations à travers le monde. Car les trois objectifs avancés par le conseiller fédéral Jans devant le Conseil des Etats restent très vagues. Il s’agirait, je le cite, de protéger la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse, de simplifier la procédure pénale et de mieux lutter contre le financement du terrorisme. Autant d’objectifs qui pourraient tout aussi bien s’appliquer à des centaines d’autres organisations que le Hamas. C’est d’ailleurs tellement peu ciblé que la majorité de notre Parlement s’apprête déjà aujourd’hui à ajouter le Hezbollah sur la liste. En ce sens, cette loi pourrait bien rapidement s’apparenter à l’ouverture de la boîte de Pandore et entraîner notre pays sur une pente très glissante.

Le deuxième risque pour la Suisse est de ne plus pouvoir jouer pleinement son rôle de soutien humanitaire, de développement et de promotion de la paix dans la région. D’autant plus que les infrastructures à Gaza, largement détruites par les bombardements en cours, devront inévitablement être reconstruites rapidement. Les médecins ou entrepreneurs suisses prendront-ils le risque d’être condamnés à 10 ans de prison en participant à la reconstruction de Gaza, sachant que le Hamas restera selon toute vraisemblance un groupe politique présent et influent à Gaza?

Enfin, notre parti redoute que cette loi n’affecte la marge de manoeuvre ainsi que la réputation d’impartialité de la Suisse, deux atouts indispensables pour jouer un rôle diplomatique dans une région si sensible. Rappelons-nous que, traditionnellement, le succès des bons offices de la Suisse est lié en premier lieu au dialogue qu’elle a toujours su maintenir avec toutes les parties au conflit, même les moins recommandables.

C’est pourquoi, pour réduire les risques liés à une interdiction du Hamas, nous avons déposé deux propositions de minorité Fivaz Fabien à l’article 1. Elles permettraient d’éviter une extension infinie de cette loi et, par ailleurs, de protéger clairement les activités autres qu’humanitaires, dont les Gazaouis auront désespérément besoin ces prochaines années, comme la paix et la reconstruction de leur territoire, largement détruit. Si ces propositions de minorité devaient être acceptées, notre groupe soutiendrait unanimement ce projet de loi. Sinon, seule une partie de notre groupe le soutiendra. Une autre partie le refusera ou s’abstiendra, estimant que malgré l’émotion légitime que suscitent les actes indicibles du 7 octobre 2023, il serait contre-productif de mettre en péril les bons offices ainsi que les nécessaires engagements de la Suisse à Gaza, et que la loi sur les embargos est suffisante pour couper tout soutien suisse au Hamas.
Mesdames et messieurs, s’il est louable d’être ferme vis-à-vis des terroristes, j’aimerais rappeler ici que le meilleur moyen de combattre le Hamas reste encore d’offrir une perspective d’espoir aux 5,5 millions de personnes vivant en Cisjordanie et à Gaza, ainsi qu’aux millions de réfugiés palestiniens à travers le monde. Cela passera par l’imposition d’un cessez-le-feu immédiat, l’accès à l’aide humanitaire, la libération des prisonniers et des otages, la fin de la colonisation, ainsi que l’ouverture de négociations de paix, afin qu’une solution durable à deux Etats puisse être implémentée rapidement, un processus dans lequel la Suisse doit encore pouvoir jouer un rôle. Dès lors, je vous invite à soutenir les minorités Fivaz Fabien et les minorités Molina, afin que la Suisse puisse contribuer à ce qu’un jour Palestiniens et Israéliens vivent en paix sur leurs terres respectives.