L’initiative parlementaire Regazzi Fabio, déposée le 24 septembre 2019, vise à modifier le code de procédure pénale afin d’autoriser, au niveau fédéral, de mener des investigations secrètes sur des infractions relevant de la pédophilie même en l’absence de soupçons. L’objectif de M. Regazzi, qui est de lutter efficacement et sans compromis contre la pédocriminalité, est bien sûr partagé par l’ensemble de notre commission. Nous sommes tous d’accord que nous devons nous donner les moyens afin que celles et ceux qui seraient tentés de s’adonner à de tels actes abominables soient certains qu’ils et elles seront arrêtés et sévèrement punis. C’est une évidence pour notre minorité également.

Le désaccord entre la courte majorité de notre commission, de 11 voix, et notre minorité, de 10 voix, réside uniquement dans la question de savoir s’il est pertinent de vouloir octroyer à la Confédération des tâches qui, actuellement, relèvent de la police et sont dès lors de la compétence exclusive des cantons. Notre minorité considère que la lutte contre la pédocriminalité fonctionne correctement aujourd’hui dans notre pays et que s’il faut encourager les cantons à renforcer encore leur dispositif, il ne convient pas de revoir les compétences. Cela serait à notre avis contre-productif, tant en matière de cohérence que d’efficacité dans la lutte contre la pédocriminalité.

Car, comme la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police nous l’a récemment confirmé dans sa lettre adressée à nos collègues de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, il n’y a pas de nécessité aujourd’hui d’octroyer à Fedpol de nouvelles compétences. Les polices cantonales travaillent désormais en excellente collaboration. Elles ont mis en place un réseau de soutien numérique aux enquêtes sur la cybercriminalité, qui fonctionne très bien. Cet outil leur permet de collaborer efficacement dans le cadre d’enquêtes internationales, d’autant plus qu’elles ont récemment triplé le personnel alloué à ces enquêtes.

Le transfert de compétences au niveau fédéral nécessiterait la constitution d’une nouvelle unité et pourrait mettre en péril le savoir-faire et les compétences développées par les cantons. Pire encore, cela ne ferait que diluer les responsabilités. Alors que, disons-le une fois de plus, la situation est sous contrôle, de plus en plus d’arrestations ont lieu depuis quelques années. Les cantons sont responsables, ont conscience des enjeux et allouent les moyens nécessaires à cette lutte. Preuve en est le coup de filet de la police cantonale vaudoise révélé hier, qui a abouti à l’arrestation de 96 personnes accusées d’avoir téléchargé du contenu à caractère pédopornographique.

L’autre difficulté que pose cette initiative, c’est que les enquêtes indépendantes de tout soupçon sont une activité policière et, à ce titre, sont de la compétence des cantons. Si l’on crée de nouvelles compétences d’enquête au niveau fédéral pour les ministères publics, cela signifie un transfert de compétences qui ne serait pas compatible avec l’actuel code de procédure pénale, celui qui a été révisé il y a moins de six mois.

Faut-il aussi rappeler que ces questions ont été largement discutées par notre commission dans le cas de cette révision adoptée en juin dernier par les deux chambres. Il a été décidé à la majorité qu’il restait opportun que le code de procédure pénale n’intervienne que dans le cas où il existe des soupçons, les enquêtes sans soupçons devant rester du ressort de la police et donc relever des compétences exclusives des cantons. Il n’y a aujourd’hui aucun élément supplémentaire qui nous amènerait à considérer que, six mois plus tard, il faudrait revenir sur cette décision. Nous n’avons en effet aucun élément nous permettant d’affirmer que le travail effectué par nos polices cantonales en matière de pédocriminalité est actuellement déficient. Nous n’avons pas non plus d’arguments permettant de penser que la double gestion de ces enquêtes hors soupçons amènerait une plus grande efficacité, bien au contraire.

C’est pourquoi aujourd’hui le Conseil fédéral, les départements concernés de l’administration fédérale, les cantons ainsi que notre commission soeur du Conseil des Etats, par 12 voix contre 0 et 2 abstentions, vous appellent, comme ma minorité, à rejeter cette initiative qui, si elle devait être appliquée en l’état, pourrait conduire à une plus grande confusion dans la lutte contre la pédocriminalité.

>> Voir l’ensemble du débat