Pour l’extension de visas humanitaires aux Afghan.e.s exposés
Vu la cruauté du régime taliban, une motion demande au Conseil fédéral d’étendre les conditions d’octroi d’un visa humanitaire aux collaboratrices et collaborateurs exposés d’ONG ou d’associations opérant ou ayant opéré en faveur des droits humains, de l’égalité des genres, du soutien aux minorités culturelles et/ou des droits LGBTIQ plus en Afghanistan.
Le texte de l’intervention:
Par la motion qui vous est soumise ici, je demande au Conseil fédéral d’étendre les conditions d’octroi d’un visa humanitaire aux collaboratrices et collaborateurs exposés d’ONG ou d’associations opérant ou ayant opéré en faveur des droits humains, de l’égalité des genres, du soutien aux minorités culturelles et/ou des droits LGBTIQ plus en Afghanistan.
De la guerre en Ukraine à la crise plus récente encore au Soudan, les tragédies meurtrières se succèdent, hélas, à travers le monde, avec leur lot de victimes. Ces conflits servent aussi trop souvent de prétexte aux gouvernants pour limiter les droits humains et s’en prendre à leurs défenseurs.
Au coeur des situations les plus préoccupantes aujourd’hui, il y a un pays qui depuis bientôt 50 ans revient pour le pire alimenter la chronique des malheurs de l’humanité: l’Afghanistan. Sans parcourir ici ces cinq décennies bien trop sanglantes, nous ne pouvons que constater avec effroi que la situation en Afghanistan ne pourrait pas être bien pire qu’aujourd’hui: pauvreté endémique, espérance de vie parmi les plus basses de la planète, absence quasi totale de système de santé, de formation et de services publics en général, droits humains foulés au pied.
Depuis 2021 et le retour des talibans au pouvoir, un régime sanguinaire a été installé, qui fait régner la terreur et prive de larges pans de la population de l’accès aux besoins les plus élémentaires et menace les hommes et, surtout, les femmes qui, souvent au péril de leur vie, se sont engagés en faveur de la liberté et de la démocratie.
Tel est le cas de collaborateurs et collaboratrices d’ONG opérant ou ayant opéré en faveur des droits humains et de l’égalité des genres, mais aussi d’avocats, d’enseignants ou encore de journalistes dont la seule faute a été de défendre, en Afghanistan, le droit international et les valeurs universelles qui nous animent, et aussi d’avoir eu la naïveté de penser que notre engagement à leurs côtés serait durable.
C’est que, pour nombre de ces militantes et militants, la délivrance d’un visa humanitaire constitue aujourd’hui l’ultime lueur d’espoir, peut-être l’ultime gage de survie. Et, par là même, le maintien d’une critique politique aux méthodes obscurantistes des talibans ainsi que la perspective d’une possible reconstruction démocratique de l’Afghanistan dans un futur que l’on espère pas trop lointain.
L’octroi de visa aux personnes menacées par le régime taliban en raison de leur engagement civique devrait être une évidence pour la Suisse au vu du droit international, mais aussi de notre tradition humanitaire et démocratique.
Des autorités, comme celles de la Ville de Genève, ont récemment interpellé en ce sens le Conseil fédéral. Mais ces appels sont pour l’instant, hélas, restés sans effet, y compris pour les femmes afghanes, comme le déplorent de nombreux témoignages.
Aujourd’hui, trois biais majeurs existent dans le système de récolte et de traitement des demandes de visas humanitaires, des biais qui empêchent notre pays d’appliquer le droit des Afghanes et des Afghans persécutés de chercher refuge dans notre pays.
Premièrement, il n’est aujourd’hui pas possible de demander un visa humanitaire depuis l’Afghanistan, notre ambassade étant fermée. Les personnes doivent par conséquent se rendre au Pakistan, en Iran ou en Turquie avec tous les risques qu’une telle fuite comporte, des risques d’autant plus importants pour les femmes fuyant la répression.
Ensuite, très cyniquement d’ailleurs, lorsqu’une personne veut déposer une demande de visa dans notre ambassade, par exemple à Islamabad, elle n’est plus considérée comme étant dans une situation à risque, et ce malgré les conditions de précarité extrêmes dans lesquelles elle se retrouve souvent. Et l’entrée en matière, y compris pour les femmes, est alors souvent refusée pour cette raison.
Enfin, une demande n’est dans tous les cas pas recevable s’il n’y a pas un lien fort avec la Suisse. Avoir collaboré au sein d’une agence soutenue financièrement par la Confédération est de ce fait pris en compte et je m’en félicite. En revanche, ce n’est pas le cas si ce soutien vient d’un canton ou d’une commune. Cette pratique est particulièrement questionnable pour un pays fédéraliste dont une bonne partie de la coopération internationale est assumée par les villes et les cantons directement, un argument d’ailleurs très opportunément avancé par le Conseil fédéral quand il s’agit de refuser d’augmenter le budget dévolu à la coopération internationale.
C’est pourquoi, vu les risques encourus par ces personnes et notre responsabilité à protéger ces personnes porteuses de valeurs démocratiques, je demande que les conditions pratiques d’octroi d’un visa humanitaire soient revues. Ces personnes doivent être autorisées à déposer une demande et celle-ci doit être considérée avec bienveillance. L’accueil des personnes persécutées pour leurs convictions ou actions politiques est au coeur du droit d’asile. L’ignorer n’est pas digne de notre pays.
Je vous prie d’accepter cette motion qui ne vise pas à accueillir toutes les personnes le demandant, mais à combattre les biais dans nos pratiques qui, par formalisme extrême et incohérence dans les critères, nous conduisent à refuser aux Afghanes et Afghans de bénéficier, comme cela devrait être le cas pour tous les habitants de la planète, de la protection du droit international.