Le texte de l’intervention:

Lors de sa séance du 13 février 2023, notre Commission de politique extérieure a décidé, par 18 voix contre 6, de déposer le présent postulat. Il s’agit de demander au Conseil fédéral de compléter la stratégie de politique extérieure d’un rapport sur les conséquences économiques pour notre pays de l’introduction de plans massifs de financement et d’investissements aux Etats-Unis et au sein de l’Union européenne.

Avec le pacte vert pour l’Europe, dont fait partie le pacte vert industriel, l’Union européenne a décidé d’accélérer la transition vers une société zéro émission en 2050. Nos voisins ont ainsi compris que des réglementations et des investissements massifs étaient indispensables pour ne pas trop s’éloigner des objectifs climatiques de la Conférence de Paris sur le climat et pour enrayer l’érosion exponentielle de la biodiversité. Ces investissements, à hauteur de 1000 milliards d’euros pour le pacte vert pour l’Europe, impacteront largement toutes les politiques économiques et fiscales des pays membres de l’Union européenne, à l’instar des efforts prévus pour soutenir leurs propres industries, mais aussi leur main-d’oeuvre et leur approvisionnement. Certains de ces engagements pourraient être positifs pour la Suisse, à l’instar des efforts prévus pour contrer les pénuries de main-d’oeuvre qualifiée dans des secteurs stratégiques. D’autres, telles les aides directes, pourraient par contre s’avérer plus discriminants pour nos entreprises, sans parler des retards que prendrait notre pays en matière de transition vers une société décarbonée.

La loi sur la réduction de l’inflation, promulguée par le président Biden aux Etats-Unis, quant à elle, est un vaste ensemble de mesures législatives dont le but est de lutter contre l’inflation, de réduire le déficit, de diminuer le prix de certains médicaments sur ordonnance et de réduire les émissions de carbone du pays. Cette loi, qui devrait générer des centaines de milliards de dollars de recettes supplémentaires pour le gouvernement ainsi que des économies substantielles pour les ménages américains, participera aussi à financer un effort massif pour accélérer la transition énergétique. Toutes ces mesures auront un impact sur la concurrence et le commerce mondial et donc sur la Suisse, d’autant plus que les Etats-Unis sont notre deuxième partenaire économique après l’Union européenne.

Or, les conséquences potentiellement importantes de ces évolutions légales pour le tissu économique en Suisse ne sont aujourd’hui que trop peu intégrées dans notre stratégie de la politique économique extérieure, et ce qu’il s’agisse des opportunités de tels investissements pour nos entreprises et nos chaînes d’approvisionnement ou des risques pour notre pays face à des politiques plus restrictives et plus protectionnistes. La majorité de notre commission est donc d’avis que le Conseil fédéral devrait compléter sa stratégie économique extérieure, afin qu’elle aborde pleinement les enjeux de ces évolutions et de leurs impacts possibles pour notre pays à court et à long terme. S’il est important d’analyser les conséquences directes à court terme pour nos entreprises, il l’est tout autant de se projeter dans un monde qui évolue et de proposer des pistes pertinentes, afin de se positionner le plus adéquatement possible.

Notre stratégie de politique économique extérieure actuelle est fondée depuis plusieurs décennies sur les principes de la mondialisation des échanges ainsi que de la capacité des marchés à répondre adéquatement aux enjeux de nos sociétés. Or, force est de constater aujourd’hui que la dérégulation croissante des marchés et l’intensification des échanges économiques des 40 dernières années n’ont permis ni de juguler la pauvreté et les inégalités ni de renforcer la démocratie et les libertés, comme nous le voyons en Chine ou en Russie.

Par ailleurs, les marchés n’ont pas été capables de répondre seuls aux enjeux environnementaux. C’est ainsi qu’à force d’attribuer aux marchés des vertus qu’ils n’ont jamais eues, nous nous retrouvons aujourd’hui dans un monde en guerre, divisé quant aux valeurs et systèmes politiques à promouvoir et confronté de surcroît à une crise environnementale majeure. Cette crise environnementale n’a non seulement pas été prise en compte par les marchés, mais ces derniers continuent au contraire de l’alimenter par manque de régulation.

C’est pourquoi notre commission considère que ce postulat est nécessaire afin de développer en Suisse une stratégie économique adaptée aux enjeux contemporains. La minorité de notre commission considère, au contraire, qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des développements législatifs de nos partenaires dans la stratégie de la politique économique extérieure. Elle considère que notre pays doit rester sur ses fondamentaux en faisant confiance aux seuls marchés qui, mieux que quiconque, savent ce qui est bien pour notre pays. Tout interventionnisme en la matière serait, pour elle, contraire aux intérêts de nos entreprises.

En recommandant lui-même d’accepter le postulat, le Conseil fédéral montre, contrairement à la minorité de notre commission, qu’il est conscient à la fois du besoin et des enjeux d’intégrer dans sa stratégie les grandes évolutions mondiales en matière économique. Il en va ainsi particulièrement des politiques volontaristes développées par les acteurs économiques majeurs pour répondre au défi central posé par le dérèglement climatique.

Je vous remercie donc, au nom de la très large majorité de la Commission de politique extérieure de notre chambre, d’accepter ce postulat.