Texte de l’intervention (rapporteur de minorité): 

Mesdames et Messieurs, il est assez ironique qu’après avoir refusé aux jeunes de 16 ans le droit de voter cette chambre considère, le même jour, que le meilleur cadeau que nous pouvons faire à notre jeunesse est de lui offrir l’opportunité de bénéficier d’un durcissement du droit pénal et surtout du droit de profiter aussi des mesures d’internement qui, jusqu’à présent, étaient réservées aux personnes adultes.

Je trouve que c’est inquiétant sur l’image et la place que nous souhaitons offrir à nos jeunes et j’aimerais qu’à la suite de cette journée il y ait quand même une petite réflexion sur ce que nous souhaitons offrir à nos jeunes de 16 ans et plus.

Ma proposition de minorité demande donc de renoncer à l’introduction d’une possibilité d’internement pour un mineur et insiste sur le besoin de maintenir le droit en vigueur. Cette proposition s’appuie sur de nombreuses prises de position d’experts, dont la Fédération suisse des avocats, qui considèrent, comme moi, qu’il n’y a pas de nécessité de faire une telle modification du code pénal des mineurs. Comme le soulignait très judicieusement une conseillère aux Etats sur ce délicat dossier, s’il n’y a pas de nécessité de faire une loi, il y a surtout une nécessité de ne pas la faire.

Cette minorité base également sa conviction sur des faits. Au cours des dix dernières années, il a été fait état d’une douzaine de meurtres commis par des mineurs. Sur ceux-ci, dix au maximum auraient pu être concernés par ce changement législatif, soit au maximum un par année. Toutefois, nous n’avons aucun élément sur leur éventuelle dangerosité, car il n’existe tout simplement aucune statistique sur le taux de récidive de ces jeunes en particulier, d’autant plus que le relèvement de la limite d’âge pour les mesures de 22 à 25 ans n’a été introduit qu’en 2016 et justifierait un peu plus de recul pour en analyser les effets.

N’aurait-on pas dû vérifier si le dispositif actuel encadrant les mineurs criminels fonctionnait correctement avant de vouloir en changer, et ce, pour des raisons purement politiciennes? Le droit pénal des mineurs a fait ses preuves en privilégiant l’idée d’éducation, de protection et de resocialisation plutôt que de prévention et de répression dans une période de leur vie, l’adolescence, où ils n’ont pas terminé leur développement et sont aussi davantage réceptifs aux mesures éducatives. La proposition d’internement pour des mineurs, même limitée à ceux de plus de 16 ans et reconnus coupables d’un assassinat, porte atteinte à ces principes et buts.

Par ailleurs, cette modification, de l’avis de tous les experts auditionnés par la commission, sera très difficilement applicable. Car pour l’appliquer, il faudra pronostiquer la dangerosité et le risque de récidive d’un délinquant adolescent une fois qu’il aura atteint l’âge adulte. Sachant que l’auteur est un jeune entre 16 et 18 ans au moment des faits, sur quoi s’appuieront les expertises de dangerosité des médecins, psychologues et psychiatres? Sur son court passé? Sur la cruauté de son crime? Ils ne disposeront pas d’un curriculum vitae et devront dès lors s’appuyer quasi exclusivement sur le dossier relatif à l’acte commis. Ce sera donc davantage une analyse prospective, ou probabiliste, que factuelle. Car même si la décision se prend lorsque la personne a 25 ans, le seul passé en société auquel on pourra se référer sera ses seize ou dix-sept premières années, des années sur lesquelles il n’est pas possible d’établir un pronostic criminel fiable en raison des diverses influences psychologiques sur le développement. C’est pourquoi les spécialistes auditionnés ont rejeté la solution de l’internement.

Des effets non désirés ont aussi été évoqués lors des auditions. Le premier est que les tribunaux, face à un risque d’internement qu’ils ne souhaitent pas voir appliquer à un mineur, pourraient décider de qualifier de meurtre ce qui est pourtant un assassinat. L’effet serait dans ce cas contraire aux objectifs de ce durcissement. Le deuxième effet pervers est d’ordre psychologique. Imaginez l’atteinte au moral du jeune et à son envie de s’en sortir s’il sait qu’il pourra être interné de manière presque illimitée. D’autant plus que la prison, on le sait, n’est pas un lieu propice à la resocialisation. Cela signifie pour ces jeunes l’entrée dans une spirale négative dont ils ne pourront plus sortir. Ces personnes représenteront dès lors, si elles sont libérées un jour, un danger d’autant plus important pour la société. Enfin, ne l’oublions pas, un détenu, cela coûte cher à la société. C’est pourquoi il est toujours plus efficient d’investir dans la réinsertion des mineurs que dans leur internement – potentiellement à vie.

En conclusion, je vous invite à renoncer à cette modification qui est non seulement inutile et difficilement applicable, mais peut potentiellement mettre en péril le pilier central de la gestion des mineurs délinquants: la réinsertion.