Lors de sa séance des 12 et 13 janvier 2023, notre Commission des affaires juridiques a décidé, par 17 voix contre 8 et 0 abstention, de soutenir la motion du conseiller aux Etats Caroni qui vous est soumise. Cette dernière demande au Conseil fédéral de revoir le droit de l’établissement de la filiation pour qu’il s’adapte à l’évolution de notre société et qu’il réponde aux besoins actuels.

Elle fait suite au rapport du Conseil fédéral en réponse à un postulat de notre commission soeur sur la nécessité de réformer le droit de filiation, qui se fonde largement encore sur les travaux approfondis et très pertinents du groupe d’experts. Le Conseil fédéral y reconnaît la nécessité de travailler sur plusieurs adaptations légales, en priorité dans trois domaines: la contestation de la présomption de paternité, la réglementation du don de sperme privé et du statut de toutes les parties à la conception d’un enfant et la réglementation du droit à connaître ses origines ou sa descendance.

Image passéiste de la famille

Cette motion est volontairement formulée de manière assez large pour permettre de traiter d’autres notions soulevées par le groupe d’experts, en particulier la question de la pluriparentalité. Le droit de l’établissement de la filiation en vigueur repose en effet encore trop largement sur une image passéiste de la famille, alors que les parents juridiques, génétiques, biologiques et sociaux ne sont pas forcément réunis en deux seules et mêmes personnes. De même, des responsabilités importantes dans la prise en charge des enfants sont assumées par d’autres personnes que les deux parents reconnus. Les experts déplorent aussi d’ailleurs que les familles monoparentales, recomposées et arc-en-ciel restent largement ignorées du droit de la famille actuel, ce qui engendre des inégalités et prive certains enfants de leurs droits.

En soutenant cette motion, la majorité de notre commission considère ainsi qu’il faut placer l’intérêt de l’enfant au centre du droit de la filiation. Tous les enfants ont besoin à la fois d’une sécurité juridique dès leur naissance et du droit de connaître leurs origines.

Malheureusement, la forme et les choix du couple incluent aujourd’hui des différences marquantes en matière de droits et de devoirs – les leurs et ceux de leurs enfants. C’est par exemple le cas du droit et du statut des parents ayant eu recours au don de sperme privé. Les enfants peuvent rester plusieurs années avec un seul parent reconnu, et donc vivre dans une insécurité juridique potentiellement problématique. Car les développements et l’internationalisation de la médecine reproductive ont multiplié les situations, qui, aujourd’hui, sont encore trop peu prises en compte dans notre législation.

Paternité contestée

C’est aussi le cas en ce qui concerne la contestation de la reconnaissance ou la présomption de paternité. Aujourd’hui, la paternité attribuée au mari à la naissance de l’enfant ne peut être contestée que par le mari lui-même ou par l’enfant, à sa majorité. En revanche, lorsque les couples ne sont pas mariés, la paternité est attribuée sur la base d’une reconnaissance de paternité. Celle-ci peut être contestée en tout temps, et par quiconque se déclare concerné. Une telle différence est aujourd’hui totalement injustifiée.

C’est, enfin, le cas aussi pour le droit à connaître ses origines et sa descendance. Les évolutions des technologies, en particulier dans la recherche relative à l’ADN, ont accru l’intérêt des habitantes et habitants pour connaître leurs origines et leur descendance génétique. Notre législation ne peut pas ignorer l’existence de ces technologies, ainsi que les développements des méthodes reproductives, qui viennent aujourd’hui bousculer la présomption de paternité.

Nous le voyons: la forme que prennent les familles évolue très vite. Ignorer cette évolution revient à fragiliser juridiquement l’enfant, ce à quoi se refuse la majorité de notre commission. Une minorité, au contraire, estime que le droit de l’établissement de la filiation ne nécessite pas de révision, notre législation couvrant déjà la majorité des cas. Certains parmi la minorité regrettent particulièrement le fait que cette motion aborde également la question du don de sperme. Pour la majorité, au contraire, toutes ces questions doivent être abordées ensemble, afin d’y apporter des réponses cohérentes, et surtout en phase avec l’évolution de la société. Car quoi que l’on pense des diverses formes de vie choisies par les parents, nous n’avons pas le droit d’en faire payer les lacunes juridiques aux enfants.

C’est pourquoi il est important de soutenir cette motion qui nous permettra de travailler ensemble sur une adaptation de notre législation.
Au nom de la très large majorité de notre commission, je vous remercie d’avance de la soutenir.

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